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Au sommet d’une colline en forme de chaussure gauche, vivait un pingouin qui parlait espagnol mais seulement les jours pairs. Il s’appelait Jean-Charles, bien qu’il refusât catégoriquement qu’on l’appelle ainsi. Les habitants de la plaine d’en bas l’appelaient simplement “l’ombre du matin”, car chaque jour, à sept heures précises, il lançait un cri d’opéra qui faisait vibrer les vitres jusqu’à trois villages plus loin.
Le village en question, nommé Bouillon-les-Banquettes, était réputé pour sa capacité à disparaître les jours de pleine lune. Personne ne savait vraiment où il allait, mais on retrouvait toujours des miettes de fromage et des brochures de voyage dans les champs alentour. Une légende locale prétendait que le village visitait d'autres dimensions pour acheter des croissants moins chers.
Dans une maison verte à pois violets, un homme nommé Fabrice s’entraînait à faire léviter des abricots au-dessus de son évier. Cela faisait vingt-sept ans qu’il n’avait pas raté un seul mardi d'entraînement. Personne ne comprenait son obsession, mais tout le monde respectait sa discipline. Un jour, un abricot est vraiment resté suspendu dans l’air pendant trois secondes et demie. Depuis, on le consulte comme un sage.
Pendant ce temps-là, dans la forêt des Paradoxes, les écureuils débattaient sur l’existence du temps. Certains pensaient que les aiguilles des horloges n'étaient que des insectes domestiqués. D'autres, plus radicaux, prétendaient que le passé n’existait que parce que les feuilles tombent. Une fois par an, ils organisaient un congrès sur la souche d’un vieux chêne pour voter sur la suite logique des saisons.
À la périphérie de ce monde absurde, une girafe nommée Claude écrivait un roman policier sans aucun crime. Elle disait que le suspense se trouvait dans l’absence même de l’intrigue. Elle en était au chapitre 47, où un miroir se demandait s’il reflétait correctement la réalité ou juste l’imagination des passants.
Plus loin, dans un désert fait de sucre glace, un chameau très pointilleux comptait les grains de sable un par un, à l’aide d’un pinceau. Quand il atteignit le nombre 12 893, il déclara une journée nationale de la précision, que seuls les fourmis célébrèrent. Les humains n’avaient pas été invités, à cause d’un malentendu lors d’un concours de jonglage impliquant des œufs d’autruche.
Le ministre des horloges cassées, un lapin en costume trois pièces, fit une allocution radiophonique depuis une vieille cafetière. Il annonçait un nouveau décret : désormais, tous les mardis seraient en apesanteur. Le sol aurait droit à une pause hebdomadaire. Une grande fête fut organisée. Les pierres flottèrent pendant sept heures. Certains chats apprirent à danser.
Dans une station-service désaffectée, deux robots philosophes jouaient aux échecs avec des biscuits. Chaque fois que l’un d’eux mangeait une pièce, il devait réciter un poème en langage binaire. Personne ne comprenait les règles, mais l’ambiance était feutrée, presque sacrée.
Un nuage nommé Gérard descendit du ciel pour ouvrir une boutique de parapluies invisibles. L’idée eut un succès fulgurant auprès des pingouins, qui avaient toujours rêvé de rester secs pendant les concerts de saxophone. Car oui, chaque jeudi, des musiciens venus des montagnes jouaient du jazz pour les glaciers.
Un ver de terre nommé Bernard inventa une langue composée exclusivement de silences. Il écrivait ses messages sur du velours, à l’encre de menthe. Certains prétendaient l’avoir entendu penser très fort, mais aucun scientifique ne put le prouver. Il donna néanmoins une conférence à l’université des hiboux, où il fut ovationné en clignements d’yeux.
Pendant ce temps, dans le métro souterrain de la mer, des poissons en costume cravate se rendaient au travail. Ils tapaient des rapports sur des machines à écrire étanches, buvaient du thé salé, et organisaient des séminaires sur la fluidité du langage. Le département des sardines avait récemment fusionné avec celui des sirènes, provoquant quelques tensions syndicales.
Un enfant en pyjama se réveilla dans une bibliothèque flottante. Chaque livre avait une humeur différente : certains étaient grognons, d’autres rieurs. Un dictionnaire ne cessait de répéter “anacoluthe” à voix haute, juste pour embêter le thesaurus voisin. Le gamin sourit, attrapa un roman qui sentait la vanille, et plongea dans une page comme on plonge dans un rêve.
Le soir tomba avec un léger bruit de clochettes. Les étoiles s’allumèrent une à une, comme des idées dans la tête d’un hibou insomniaque. Sur une île volante, des statues jouaient à cache-cache avec les nuages. Certaines gagnaient, d’autres fondaient. Mais toutes riaient en silence.
Dans la vallée des objets perdus, un vieux magnétophone chantait les souvenirs des clés, des chaussettes, et des parapluies. Des passants nostalgiques venaient écouter ces refrains d’objets oubliés, parfois avec une larme, parfois avec un rire.
Un autobus fait de confettis s’arrêta en haut d’un volcan éteint. Il déposa un passager : un hérisson pianiste, célèbre pour ses compositions en mi-bémol majeur. Il déclara vouloir apprendre la danse contemporaine pour exprimer ses pensées profondes. On lui souhaita bon courage, et il disparut dans le brouillard parfumé à la lavande.
Finalement, au centre de tout, un horloger aveugle construisait des montres sans aiguilles. Il disait que le temps n’était pas fait pour être mesuré, mais pour être goûté, comme un bon chocolat chaud en hiver. Personne ne comprenait, mais tout le monde acquiesçait.